Né le 17 juillet 1937, Jacques Boisgontier a passé son enfance et sa jeunesse à Bordeaux, rue des Belles Îles. Issu d’une famille d’origine normande, son père, courtier en vins et spiritueux, exerça son métier pour la cave coopérative de Sainte-Croix-du-Mont durant une vingtaine d’années sans que la famille ne quitte la ville. La double ascendance de sa mère, née Lauga, le rattache aux Pyrénées (Tarbes) d’une part et à l’Entre-Deux-Mers, en Gironde. Aîné de trois enfants, il découvre très tôt le Bordeaux populaire en compagnie de sa grand-mère, Florentine, couturière à domicile, qui vit avec le jeune couple. Sans doute a-t-il puisé dans cette proximité le goût des histoires, celui des langues et de la diversité des parlers. En témoignent les études d’espagnol à l’Université de Bordeaux, qu’il poursuit après des années de scolarité à la pension Saint-Genès, puis au Lycée Montaigne.
En 1956 ou 1957, Jacques Boisgontier à Bordeaux et Jacme Taupiac à Montauban lisent le même jour, dans le journal Sud-Ouest, un entrefilet qui signale l’existence d’un Institut d’études occitanes et de la revue Òc. Tous deux s’abonnent à la revue et entrent en contact épistolaire, en occitan de Gascogne, grâce à Ismaël Girard, son fondateur. C’est le début d’une abondante correspondance et d’une longue amitié.
Durant une année passée à Montpellier, en 1961-1962, J. Boisgontier fréquente les milieux occitanistes et l’entourage de Robert Lafont. C’est sans doute à cette époque qu’il noue avec Christian Anatole une amitié qui durera jusqu’à la disparition de celui-ci, en 1987.
Enseignant l’espagnol à Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), il est proche des animateurs de la revue Per Noste : Roberd Darrigrand, avec qui il publiera en 1970 les Condes deus monts e de las arribèras, une anthologie de contes gascons, mais aussi Roger Lapassade, et Michel Grosclaude. Le service militaire, effectué en partie près de Bordeaux, puis en Béarn, ne l’éloigne pas non plus de sa région d’origine.
En 1964, alors qu’il enseigne à Auch, il rencontre régulièrement Jacques Taupiac, alors enseignant à Lectoure, André Dupuy, assureur à Montauban et Robert Bouan. Ils fondent ensemble la maison d’édition Lo libre occitan, à Lavit-de-Lomagne. Mais cette entreprise courageuse tourne court et dépose le bilan à la fin de l’année 1968.
Tant sur le plan de l’organisation concrète que sur le plan scientifique, Jacques Boisgontier participe très efficacement et durant de nombreuses années aux activités de l’Institut d’études occitanes (IEO) dont il est nommé Secrétaire général en 1965. Il collabore en particulier à l’édition du Gojat de Noveme de Bernard Manciet (paru en 1964), du Dictionnaire Occitan-français de Louis Alibert (1966), puis, principalement avec Félix Castan, à celle du Libre del Campestre d’Antonin Perbosc (1971). Les corrections d’épreuves, comme l’abondante correspondance de ces années là, témoignent que quasiment aucun livre publié par l’IEO n’a paru alors sans qu’il y mette la main.
En 1968, Jacques Boisgontier, qui fait autorité comme romaniste et philologue ainsi que dans le domaine des parlers d’oïl, est appelé par Pierre Bec à l’Université de Poitiers où il occupera un poste d’assistant d’Ancien français jusqu’en 1975.
En avril 1971, il revient résider à Bordeaux (Mérignac) au moment de son mariage avec Maryse Roux. Languedocienne, étudiante en Lettres classiques à l’Université de Montpellier où elle était l’élève de Charles Camproux et de Robert Lafont, elle avait été chargée de la rédaction des Cahiers pédagogiques de l’Institut d’Etudes Occitanes lors du stage de 1964 à Decazeville. L’envoi et le renvoi des épreuves furent l’occasion d’une correspondance régulière avec J. Boisgontier qui en assurait la correction linguistique.
Chargé de cours d’Occitan à l’Université de Bordeaux III à partir de 1972, J. Boisgontier partage durant trois années son temps entre Poitiers et Bordeaux. Il y encadre plusieurs mémoires sur la langue et les lettres occitanes, en particulier la littérature orale, d’étudiantes et d’étudiants qui continueront sur la voie de la recherche ou de l’enseignementiv. Le plan du mémoire présenté en 1976 par Sylvette Giletv, laisse penser que le « questionnaire Boisgontier », qui circule dans les stages de l’IEO et guide les collecteurs novices de récits et de chants populaires dans les années soixante dix, est la transcription précise des directives données à ses étudiants abordant le terrain ethnologique. Posture militante et activité professionnelle se mêlent étroitement, tant dans le suivi des travaux des autres qu’en ce qui concerne l’édition, la recherche linguistique, la littérature ou l’ethnographie des savoirs et des dires.
L’année 1975 marque un tournant essentiel dans l’itinéraire de Jacques Boisgontier. Il participe à Béziers, avec Yves Rouquette et Robert Sirc, à la fondation du Centre international de documentation occitane (CIDO) qui, dans leur esprit, devait devenir la bibliothèque de référence de l’écrit occitan, ancien et moderne.
Mettant de côté un dossier déjà bien fourni en vue d’une thèse sur Pey de Garros, il quitte cette année là l’enseignement universitaire. Certes, les allées et venues hebdomadaires entre Bordeaux et Poitiers étaient peu propices à la concentration que réclame ce type de travail, mais on peut légitimement penser, en considérant ses notes les plus anciennes comme ses travaux ultérieurs, qu’il préférait la récolte sur le vif de la langue et des récits à l’étude in vitro de la littérature ancienne et qu’il ne concevait la recherche que dans un va-et-vient entre bibliothèques et terrain. L’amicale complicité qu’il entretenait avec ses élèves montre aussi qu’il concevait la pédagogie plus à la manière d’un précepteur que d’un professeur en chaire.
Heureusement pressenti pour rejoindre le groupe de recherche « Atlas linguistiques, parlers et cultures des régions de France », J. Boisgontier obtient à l’automne 1975 un poste d’ingénieur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il intègre ainsi, à Toulouse, le Laboratoire d’études méridionales, marqué par la figure prestigieuse du dialectologue Jean Séguy, auteur de l’Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne. C’est là qu’il travaillera désormais, dans son bureau du 56 rue du Taur jouxtant la riche Bibliothèque Méridionale, tout d’abord comme collaborateur aux volumes de l’Atlas linguistique du Languedoc occidental (ALLOc) de Xavier Ravier mais aussi – et surtout – à l’Atlas linguistique du Languedoc oriental (ALLOr) dont il a l’entière responsabilité. Il en dirige et rédige les trois premiers volumes (avec la collaboration de Louis Michel, Ernest Nègre et Jean-Marie Petit) publiés en 1981, 1984 et 1986. Très affecté par la décision du CNRS d’abandonner, si près de sa clôture, la publication imprimée en grand format des atlas linguistiques et d’envisager désormais l’exploitation et la mise à disposition des données sous forme électronique, il laissera inachevés les volumes suivants de l’ALLOr.
Particulièrement intéressé par le vocabulaire des régions côtières où il a fait ses premiers pas d’enquêteur, Jacques Boisgontier participe également, dans les années quatre-vingt, au projet d’Atlas des côtes de France, resté inabouti, puis, pour la partie côtière de l’ALLOr, à l’Atlas Linguistique Côtier de l’Arc Nord Occidental de la Méditerranée (ALCANOM). Ce travail d’investigation linguistique sur la bordure méditerranéenne de la Catalogne à l’Italie du Nord jusqu’à la Toscane, est terminé mais reste à ce jour inédit.
Josiane Bru